Presse-2011-03-Music-Story

- music-story.com - Mars 2011

Chronique, critique de l'album
Une Voix Pour Ferré de Catherine Lara

Chronique de Une Voix Pour Ferré

CD une Voux pour FerréN’usons pas le temps à rappeler la munificence du répertoire du Monégasque libertaire. Rappelons simplement que trois des interprètes majeurs de Léo Ferré, définissent avec une parfaite pertinence les pointes du triangle dans lequel évolue la chanson hexagonale : fille publique repentie avec Dalida (« Avec le temps »), nectar de l’intelligentsia grâce à Juliette Gréco (« Jolie môme »), et légèrement foutraque et baroque en compagnie d’Arno (« Comme à Ostende »). Ainsi, ces trois archétypes font du créateur de « Merde à Vauban » le plus authentique des façonneurs de répertoire populaire. Ce qui, où qu’il se trouve en ce moment, doit passablement l’épater.

Et, donc, c’est aujourd’hui au tour de « La Rockeuse de diamants » de tenter d’offrir un nouvel écrin à ces prodigieuses chansons, en un intitulé légèrement immodeste (Ferré a-t-il vraiment nécessité qu’on lui prête une voix ?). Cette voix, justement, d’une dame désormais âgée de soixante-cinq ans, est devenue plus âpre, plus rêche, plus grave et moins commode pour tout dire, ce qui la rapproche sensiblement de l’organe du maître, et lui permet d’habiter des refrains d’incunables sans éveiller la moindre nostalgie acide. Versant partitions (au nombre de neuf, complétées par deux pièces instrumentales), la démarche semble clairement patrimoniale : de « C’est extra » à « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? », en passant par « Vingt ans », rien que de parfaitement identifié, ici. Mais, après tout, Catherine Lara a parfaitement le droit d’aimer plus que tout ces chansons-là, puisque nous les aimons aussi énormément.

Toutefois, il est clair, en regard de tout ce qui précède, que la saveur inédite de cet album, son suc et son supplément d’âme, reste l’approche voyageuse adoptée par une musicienne qui a tenu à y assumer l’entièreté des parties de violon. Madame Lara a en effet choisi de faire voyager le Toscan magnifique et ses mélodies d’un bar flamenco sévillan (un « Avec le temps » illuminé par la guitare de Juan Carmona et le chant en second de Jean-Claude Wecker, et un « La Mémoire et la mer » de même) à la pulsion des guitares urbaines de Sylvain Luc (« Jolie môme »). Le percussionniste argentin Minino Garay, l’accordéoniste Michel Sanchez ou Philippe Chayeb à la basse, complètent cette brigade internationale, embarquée dans une étrange pérégrination, qui nous entraîne aux confins de la musique chorale sud-africaine (« C’est extra »), ou vers des scansions amérindiennes. Jamais ces options musicales ne choquent, ou éloignent du projet : c’est la grandeur de ces chansons de se plier à un traitement de randonnée au sein de différentes cultures. C’est la pertinence du projet de Catherine Lara d’avoir mené de si brillante manière l’aventure.

Á la toute fin de « Richard » surgit la voix de Ferré : une simple phrase en écho des couplets de la chanteuse. Le trouble est immédiat, tant les deux timbres se confondent, se rejoignent, se répondent sur un registre identique. N’y voyons pas un signe : les signes sont faits pour les imbéciles. Mais décelons-y, à travers les années, les histoires et les sexes différents, à travers la mort même, la simple, ténue, et définitive preuve de l’amour.

Christian Larrède